Coups de coeur des bibliothécaires : 2019 – 2020
Elles lisent pour leur plaisir, évidemment, mais pour le vôtre aussi
Voici leurs coups de coeur :
nouveautés, livres oubliés, perles rares et coups de coeurs
Thomas Lilti, Le Serment Grasset 2021
Vous avez sans doute entendu parler ou vu les films Hippocrate, Première Année et Médecin de campagne. Peut-être connaissez-vous son réalisateur, Thomas Lilti mais ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que ce dernier, avant de se lancer dans le cinéma, a été médecin.
C’est lors du tournage de sa série Hippocrate 2 sur fond de crise sanitaire qu’un déclic va s’opérer en lui. Et pourquoi ne profiterait-il pas de cette pause imposée par son interruption pour s’investir en tant que bénévole dans les hôpitaux qui ont tant besoin de soignants ? C’est dans l’hôpital Robert Ballanger d’Aulnay sous-Bois où il tournait qu’il va s’engager et retourner à sa vocation première car il sent que sa place est à l’hôpital.
Mais rien n’est simple pour renfiler sa blouse lorsque l’on a abandonné ce métier pendant 15 ans et que l’on redécouvre le monde médical avec tout ce qu’il a d’admirable, d’humain mais aussi de violent et de brutal. Il est médecin, mais n’est pas inscrit au Conseil de l’Ordre, ne retrouve plus sa thèse, il n’a donc pas le droit d’exercer et ses services seront assimilés à ceux d’un interne en formation. Absurdité… Mais son implication bénévole va l’amener à se poser de multiples questions sur l’engagement des soignants, la vocation, le poids de la hiérarchie dans le milieu hospitalier, la pénurie de médecins, le système de santé parfois dysfonctionnel…
Il constate que l’hôpital public, dans le chaos que nous vivons, se fissure, se casse, coule. Ce qui le fait vivre, c’est sûrement cette union et cette solidarité de ces courageux soignants qui, dans la difficulté, trouvent toujours une solution.
Ce livre se lit comme une sorte de journal que l’auteur composait chaque soir en rentrant, épuisé de ses journées, en les racontant à son dictaphone. Il est rempli d’anecdotes souvent touchantes, faisant honneur à certains soignants qu’il a connus et même fait jouer dans ses tournages, tant ils représentaient pour lui.
Ces acteurs n’avaient pas besoin d’apprendre leur rôle puisque la scène était leur lieu de travail. Une façon de rendre hommage aux personnes qui ont compté dans son parcours et de comprendre combien son cinéma s’est nourri du réel, de son vécu et de ses rencontres.
Mais ce qui frappe le plus dans ce petit livre de 154 pages, c’est la spontanéité et le respect avec lequel Thomas Lilti décrit les situations. Il n’enjolive rien, analyse avec beaucoup de lucidité et se repent parfois de dévoiler des secrets « professionnels », ce qui rend son récit d’autant plus humain et l’auteur parfaitement sympathique.
Pour Thomas Lilti, une question restera toujours en suspens : suis-je médecin ou réalisateur de film ? Impossible d’y répondre même s’il explique qu’il ne lui a fallu même pas 24 h, une journée aux urgences, pour retrouver exactement les sensations qui lui ont fait aimer ce métier au-delà du dévouement et le fuir. Lâchera-t-il à nouveau son stéthoscope pour reprendre la caméra ? MB.M. 17/03/21
Maylis Adhémar Bénie soit Sixtine Julliard
2020
Sixtine Duchamp est la sixième, bien sûr, d’une famille de six enfants.
Ils sont huit dans la famille de Pierre-Louis Sue de la Garde, jeune polytechnicien, chef d’entreprise.
Tous deux issus de la bourgeoisie, voire de l’aristocratie, ils évoluent dans une sphère intégriste. Les Sue de la Garde sont adeptes d’une sorte de secte ultra-catholique d’extrême droite, les Frères de la Croix (FC dans le texte) créée par le Frère André, garant de la vraie foi contre le pape, à qui ces « croisés des temps modernes » vouent un culte sans limite.
Les Duchamp sont traditionnalistes et leurs règles sont empreintes d’extrémisme religieux. Ils donnent à leurs enfants une éducation rigoriste, sans aucun espace de liberté.
Une rencontre lors d’un mariage puis c’est à leur tour d’unir leurs vies. Formatée depuis sa petite enfance, Sixtine sera une bonne mère qui veillera sur une nombreuse progéniture, devra obéissance et respect à sa famille, à sa belle-mère, à son époux et… aux Frères de la Croix.
La nuit de noce est une épreuve et sa grossesse qui vient rapidement, se révèle pénible, d’autant qu’elle est guidée par sa belle-mère, sévère et rigide, qui décide de tout et pour tout le monde. Pierre-Louis n’apporte ni amour ni tendresse à sa jeune épouse qui découvre vite qu’il milite très activement dans les milieux extrémistes de droite, prêt à réagir violemment contre une vision de la religion différente de la sienne.
Et c’est dans ce contexte qu’un drame va survenir. Je ne vous en dirai pas plus… sinon que Sixtine va à la fois donner la vie et renaître à la sienne.
Maylis Adhémar, avec ce premier roman particulièrement audacieux, réussit une belle analyse du milieu sectaire qu’elle semble bien connaître. On pourrait penser qu’elle le caricature mais au contraire, tout sonne juste, tout est observé, aucun jugement n’est porté sur la foi dont seules les dérives sont pointées du doigt.
Vous lirez ce livre comme un thriller et vous attacherez forcément à ce beau personnage qu’est Sixtine qui, de docile, est devenue battante. On comprendra l’engagement de Muriel qui, comme nombre de convertis, s’est surinvestie dans sa pratique religieuse et l’incroyable parcours de sa grand-mère Erika à travers les lettres écrites à sa fille.
Dans ce récit d’émancipation, l’auteur parvient à expliquer l’emprise des sectes sans remettre en question la foi catholique et fait cheminer Sixtine vers sa liberté, sans jamais lui imposer de direction.
La plume précise que tient Maylis Adhémar pour ce premier roman réussi et maîtrisé, mérite qu’on la suive…MB.M.12/01/21
Yann Queffelec La Mer et au-delà Calmann-Lévy 2020
« La petite fiancée de l’Atlantique », c’est ainsi qu’était surnommée Florence Arthaud, célèbre navigatrice disparue trop tôt dans un accident d’hélicoptère en Argentine lors du tournage d’une émission de télé-réalité. Triste sort pour celle qui avait vraiment brûlé la vie par les deux bouts.
Florence, Flo, pour Yann Quéffelec, est bien née. Hôtel particulier dans le 16ème arrondissement de Paris, enfance dorée avec maison à la campagne, à la mer, à la montagne, Florence est élevée dans le bruissement de la nature, des vagues et de la neige.
Elle échappe à la mort à 17 ans, passe six mois à l’hôpital, lit Moby Dick, roman déclencheur pour elle. On lui interdit tout sport et puis un médecin zélé lorsqu’elle lui pose la question : « Et la mer, la voile, j’y ai droit ? » lui répond : « qui t’a dit le contraire ? »… Elle abandonne ses études de médecine et c’est le début de sa vie d’aventurière que tout le monde connaît.
Pour Yann Quéffelec, Florence Arthaud, pourtant déterminée et imprévisible, est un personnage de rêve. Marquée par deux accidents qui ont failli lui coûter la vie, elle est complètement hors norme : c’est à la fois un garçon manqué et une femme réussie, épanouie, qui affronte le regard impitoyable de ceux qui la rabaissent. Elle se forge un mental de marin dans ce milieu souvent réservé aux hommes afin de se débarrasser de son image de petite bourgeoise fille à papa. Elle dispute de grandes courses transatlantiques et remporte la célèbre Route du Rhum dont la victoire est souvent réservée aux hommes.
Femme complexe et rebelle, sexy et coquette, elle a la passion de la mer et l’amour de l’instant. Elle veut tout vivre tout de suite, se mettre en danger, se dépasser physiquement et dire non à la facilité de l’existence et au spectacle du monde autour d’elle. Elle veut se donner toute entière sur terre pour ne rien donner à la mort.
Fille de l’éditeur Jacques Arthaud qui avait choisi de publier essentiellement les Gens de mer, elle avait également la passion des mots et un réel talent d’écriture. Elle avait demandé à l’auteur de faire un bouquin sur la mer, sur la vie, quand il aurait le temps… Le temps, il l’a eu pour le dédier à son héroïne et aux neuf autres victimes de cet accident. Elle était partie pour revenir au centre de la lumière, cette lumière de la gloire qui s’était éloignée d’elle, et récolter des fonds pour une course, l’Odyssée des femmes, pour leur donner la parole, partout.
Amoureux de la mer comme elle, Yann Quéffelec nous livre une véritable déclaration d’amitié truffée de souvenirs, et prend à son tour la barre pour mettre des mots sur les maux car ils avaient en commun d’être tourmentés par les mêmes démons : la famille, la société, une envie de partir, loin…
Alors, quel autre remède que la liberté et pour l’atteindre, la mer.. et au-delà ? MB.M.8/12/20
Les Funambules Mohammed Aïssaoui Gallimard Juin 2020
Les funambules, ce sont des artistes qui marchent sur un fil en essayant de ne pas tomber.
Dans ce roman, il ne s’agit pas d’artistes, mais de personnes que le narrateur a rencontrées en exerçant son métier peu ordinaire de biographe pour anonymes, autrement dit, il écrit, à leur demande, la vie des autres.
Les autres, ce sont des gens plutôt cabossés par la vie, des gens de la rue ou des personnes rencontrées dans des foyers d’hébergement ou au sein d’associations, mais aussi d’anciens copains du narrateur, du temps où il habitait dans la cité Anne Franck à Ozoir en banlieue parisienne : il y a l’inénarrable Bizness qui connaît tous les bistros de Paris, y compris le café de Flore et qui connait surtout les combines pour ne pas payer !
Autre personnage haut en couleur : le Philosophe, il ne jure que par Rousseau et comme lui, prône son goût pour la solitude, c’est à voir !
On ne saurait nommer toutes les rencontres que fait notre écrivain, je pense particulièrement à Chantal, une femme élégante, mère de cinq enfants, mariée à un médecin qui vient de la quitter, elle a honte de devoir frapper à la porte du Secours Populaire.
S’il fait toutes ces rencontres, c’est qu’il est à la recherche de son amour de jeunesse, Nadia (comme l’héroïne d’André Breton) : il ne l’a pas vue depuis bien longtemps ; cette quête est le fil rouge (encore un fil) de ce roman.
Nadia, elle aussi voulait mettre des paroles sur les maux des autres. Il sait qu’il peut la retrouver dans une association caritative, et le voilà à la recherche de cet amour perdu de Paris à Lyon, la retrouvera-t-il ?
En attendant, il rencontre aussi des bénévoles, ces belles personnes qui se donnent à leurs tâches comme si elles étaient au travail, « le salaire en moins et le bonheur en plus, dit l’une d’elles.
Outre les récits de vie que nous livre le jeune homme, son roman est ponctué de courts flashes sur sa propre vie : il avait 9 ans quand il est arrivé en France avec sa mère, venant d’Algérie. Ils se sont installés dans cette cité de banlieue, elle sera « une analphabète bilingue ». Lui, a pris le goût des mots, de la langue française et de sa littérature.
Anecdote particulièrement touchante : il vient de valider deux masters de droit et sciences politiques, sa mère invite ses voisines à qui elle annonce fièrement que son fils vient d’avoir son CAP !
Lui aussi a connu des difficultés, il sait ce que c’est pour un enfant de devoir traduire pour les parents des papiers officiels, d’attendre le colis du Secours Populaire, lui aussi est un funambule, mais il a réussi à surmonter ces fêlures surtout grâce à l’écriture et à sa mère, ce qui lui permets d’avancer sur le fil ténu de la vie. Voilà un livre plein d’humanité qui se lit facilement mais s’oublie difficilement. L.M. 1/12/20
Marie-Hélène Lafon Histoire du fils Buchet-Chastel 2020
Ouvrir un livre de Marie-Hélène LAFON est toujours un vrai bonheur, c’est celui que nous offrent, en cette rentrée littéraire, l’auteur et les Editions Buchet-Chastel : Histoire du fils.
Le fils, c’est André, né de père inconnu, comme on dit, lui le bon élève, ressasse ce mot, inconnu, un préfixe négatif et un participe passé, tout un programme. Il a dix ans et prend conscience qu’il est aussi un fils inconnu, il passera sa vie, dit l’auteur, « à flairer les traces de son père de loin de de près ».
C’est ça l’histoire !
Ce livre est aussi une sorte de saga, l’histoire d’une famille : Gabrielle, la mère d’André, celle qui ne revient au pays que deux fois par an, en août et à Noël, Hélène, la sœur de Gabrielle, celle qui a élevé l’enfant avec Léon, son mari, l’oncle, les cousines et les autres, ceux du pays, ceux de Figeac.
Non loin de là, à Chanterelle dans le Cantal, Paul, le père inconnu, a été bon élève lui aussi, ambitieux et arriviste, il sera avocat à Paris, il ne sait ou ne veut pas savoir qu’il a eu un fils. Tous ces lieux, Figeac, Aurillac, les lecteurs de Marie-Hélène LAFON les connaissent bien, c’est son pays, le Lot, et le Cantal, son univers. Paris aussi, où vit Paul, André le sait-il ; il le guette un soir sur le boulevard Arago, il a alors 40 ans, il n’ira pas plus loin.
Cette histoire pourrait s’étaler sur plusieurs volumes, or le livre ne compte que 176 pages. 176 pages et tout est dit, c’est l’art de Marie-Hélène LAFON, pas un mot de trop, chacun d’eux est pesé, pensé, ruminé, pas de dialogues mais un style indirect qui se fond dans la narration, comme les odeurs et les sensations se fondent dans les personnages, pas de jugements non plus, on est comme on est, comme la vie vous a façonné : la mère est loin d’être aussi maternelle que la tante, celle qu’il appelle Maman.
Quant au père, son portrait en creux n’est guère attirant. Certes il a réussi, comme on dit, il a séduit des femmes, Gabrielle entre autres, mais connait-on les gens ? Il a sans doute été marqué par un drame vécu dans sa petite enfance. C’est sur ce drame que s’ouvre le roman : 25 avril 1908 et il se termine le 28 avril 2008. Cent ans, il aura fallu cent ans et trois générations pour que, grâce à l’opiniâtreté de son petit-fils, André, mort depuis quelques années, soit reconnu dans le pays de son père.
Entre temps, la vie a passé, avec ses bonheurs simples et faciles et ses secrets, ses silences, l’histoire s’en est mêlé aussi, Paul a eu 16 ans en 1919, il n’aura pas pu être le héros de la guerre de 14 comme il l’aurait rêvé. André, dont les études ont été interrompues en 1939, sera un héros de la Résistance.
Pas de chronologie linéaire, mais on passe d’une date à une autre.
Un moment de la vie en rappelle un autre.
La grande force de ce livre, celle qui fait qu’on ne peut pas le lâcher, c’est l’écriture si particulière de l’auteur, cette écriture habile à recréer un monde qui n’est plus, celui de l’enfance, du haut pays, comme elle dit, du passage du temps, des saisons.
Ce roman recèle aussi nombre de connivences avec le lecteur : le goût des mots, des noms propres, on retrouve la Santoire, souvent citée dans d’autres romans, nom de lieu ou de personne.
Marie-Hélène LAFON ne peut s’empêcher de faire quelques allusions à ses maîtres en littérature, Flaubert, nous en avons déjà parlé ici : «on était en étude », Pierre Michon, l’écrivain, apparaît sous la forme d’un professeur de latin amateur de Virgile. La citation des Bucoliques rappellera tant de souvenirs à certains d’entre nous !
Lisez et relisez ce beau livre qui vient d’obtenir le Prix Renaudot 2020 ! L.M. /09/20
Guillaume Sire Avant la longue flamme rouge Ed. Calmann-Lévy, 2020 Prix Orange 2020
Le dernier roman de l’écrivain Guillaume Sire, est un très grand roman inspiré d’une histoire vraie .
Le titre de cet ouvrage Avant la longue flamme rouge est tiré de la tragédie grecque Les Troyennes du poète Euripide que l’auteur cite en exergue : « Troie a péri, la grande cité. Seule y vit encore la longue flamme rouge. »
L’action du roman se situe au Cambodge dans les années 70. Le pays est à feu et à sang. Le Prince Norodom Sihanouk est destitué et prend la fuite. On ignore où il se cache. Dès lors le Général Lon Nol mène le coup d’état et proclame la république.
Le chaos s’installe ; les exécutions sommaires, exactions de toutes sortes, actes de barbarie font rage. En 1971 le héros de ce roman Saravouth a 11 ans. Sa petite sœur Dara en a 9. Leur mère Phusati enseigne la littérature au lycée René-Descartes de Phnom Penh. Leur père Vichéa est Directeur du service des litiges à la Chambre d’Agriculture.
Grâce aux lectures quotidiennes de sa mère, Saravouth se réfugie dans un monde surnommé « Le royaume intérieur ». Il se créé un monde fantastique de personnages imaginaires où Peter Pan côtoie les héros de l’Iliade et de l’Odyssée. De son côté son père l’initie au jeu des échecs.
Cette vie privilégiée et ouatée est hélas troublée puis bouleversée par les rafles et les persécutions qui s’annoncent et se multiplient.
Ils sont contraints, un soir, de suivre des soldats qui les dirigent dans les bois, quand un hurlement retentit accompagné de rafales de mitraillette.
Bien plus tard Saravouth se réveille seul en pleine forêt, entouré de rats, baignant dans son sang, avec un trou au-dessus de son oreille droite. Ses parents et sa petite sœur ont disparu…
Il est recueilli et soigné par Iaï une redoutable et vieille paysanne au physique et aux pouvoirs de sorcière qui lui prodigue des soins avec d’étranges tisanes auxquelles elle ajoute ses crachats.
Sa guérison est longue. Saravouth compte les jours puis les semaines et n’a qu’une idée en tête : retrouver ses parents et sa sœur.
Il se remémore ses jours heureux, revoit en pensée son école, ses amis et son entourage.
Un matin, de nouveau sur pied, se sentant prêt, il décide de partir à la recherche de sa famille et c’est à ce moment-là que l’incroyable épopée de Saravouth commence.
On assiste tout au long du récit à des scènes de survie apocalyptique, dans une nature hostile, tantôt oniriques, tantôt cruelles.
Sa quête le mène de forêts en hôpitaux en passant par des marécages, des sables mouvants, côtoyant les tigres, les crocodiles, les cadavres affreusement mutilés, les tirs de roquette, les bombes ; en trois mots : l’horreur, l’indicible, la barbarie humaine dans toute son atrocité.
Chapitre après chapitre on tremble pour notre jeune héros et on est ébloui par sa capacité de résilience hors du commun.
Dans la troisième partie du livre Saravouth qui a été retrouvé agonisant à bord d’un sampan sur le lac Tonlé Sap, le corps transpercé par plusieurs balles et des dizaines d’éclats d’obus est rapatrié à l’hôpital Calmette de Phnom Penh et considéré comme un cas. Le personnel ne cesse d’évoquer sa survie miraculeuse.
De nouveau la convalescence est longue et douloureuse avec des crises d’épilepsie et de terribles migraines à répétition.
Enfin guéri, on le transfère à l’orphelinat de la Mission Saint-Joseph tenu par des frères.
Ayant recouvré la santé il n’a de cesse de retrouver sa famille, interroger et quadriller tous les quartiers de Phnom Penh. En vain…
Il est le témoin de viols. La famine, la misère, la prostitution, trafics en tout genre se sont installés dans la ville.
En mars 1975 les Khmers rouges se préparent à investir la capitale.
Grâce à l’appui d’un ami Saravouth s’envole vers les Etats-Unis.
Dans l’épilogue Guillaume Sire raconte l’adoption et la reconstruction du jeune garçon chez un couple bienveillant de Washington.
Puis l’auteur évoque sa rencontre avec Saravouth adulte vivant à Montréal où le futur écrivain séjourne dans le cadre de ses études.
Saravouth lui confie son incroyable histoire et ils deviennent amis. A.F. 31/10/20
***************
Dany Héricourt La Cuillère Liana Levi 2020
La cuillère est un objet défini par le Colonel Philipps dans ses Mémoires de collectionneur comme un objet qui contient, englobe et transporte au contraire du couteau qui coupe et de la fourchette qui pique. C’est aussi le titre de ce premier roman de Dany Héricourt, paru chez Liana Lévi en septembre 2020, et vous savez, dès les premières lignes qu’elle va en être le personnage principal !
Nous sommes en 1985, Seren a 18 ans et habite le Pays de Galles où sa famille, à la fois attachante et excentrique, mi-anglaise, mi-galloise, tient un hôtel fréquenté par des habitués parfois hurluberlus, classés par familles, presqu’en couples ou solitaires.
Trois jours avant les 18 ans de la jeune fille, son père meurt brutalement dans son lit. Sur sa table de chevet, une tasse de thé et sur la soucoupe, une cuillère, ornée d’armoiries françaises.
Cette mort très subite surprend et désoriente toute la famille mais c’est cette cuillère qui retient avant tout l’attention de Seren qui ne l’a jamais vue ni dans la vaisselle familiale ni dans celle de l’hôtel. Cet ustensile l’intrigue et l’obsède. Elle en fait des croquis, parfois insolites et suit les conseils de son proviseur qui l’encourage à « se perdre » avant de rentrer aux Beaux-Arts de Cardiff.
Après une brève enquête, elle monte dans la vieille Volvo paternelle et décide de partir en France sillonner les routes dans un sympathique road movie qui sera l’occasion de rencontres lumineuses, découvertes et leçons de vie. Un pèlerinage commence, qui la mènera en Bourgogne, mais je ne vous en dirai pas plus sinon que le regard de Seren sur le monde va changer. Laissant toutes ses incertitudes sur le bord de la route, elle s’émancipe et c’est avec délice, humour et énergie qu’elle nous raconter ses tribulations dans ce périple vers l’âge adulte.
Le style est fluide, les situations parfois désopilantes, on y apprend quelques mots de gallois, souvent imprononçables. Quelques digressions, des listes amusantes et loufoques, toujours en lien avec le parcours de Seren ou l’histoire des cuillères, et glissées au bon moment, donnent à ce récit plein de surprises et de rebondissements, une petite touche originale, souvent très amusante.
Avec doigté et délicatesse, Dany Héricourt, de mère britannique et de père français, a rédigé ce texte en français alors qu’elle écrit habituellement en anglais pour éviter une traduction qui lui ôterait toutes ses nuances. Elle explique même que cette jonglerie entre les langues qui donne une certaine allégresse au texte, a rebuté certains éditeurs mais a su charmer Liana Lévi, sans doute sensible à la forme d’écriture de ce roman fantaisiste mais pas si léger que cela puisqu’il aborde des thèmes forts tels que le deuil et les non-dits, présents dans toutes les familles. Une belle découverte de cette rentrée littéraire de septembre qui séduira ses lecteurs et que vous pourrez trouver dans notre bibliothèque au 73 rue Mirebeau à Bourges. MB.M. 10/11/20
Laurent Seyer Ne plus jamais marcher seuls Finitude, 2020
Lorsque Naomie Strauss se porte volontaire pour remplacer un collègue, elle pense avec plaisir se rendre à Londres, mais pas du tout, c’est à Liverpool dans le nord de l’Angleterre qu’elle doit aller. Cette journaliste trentenaire, très parisienne, dont le domaine de prédilection est la culture, est envoyée par son journal faire le portrait d’un anonyme, partisan du Brexit.
Nous sommes en 2015, la campagne bat son plein en Grande Bretagne. Le pays est divisé. Le Nord en pleine reconversion postindustrielle s’apprête à voter massivement pour le départ de l’Europe.
C’est ainsi que Naomie Strauss se retrouve dans un pub face à Nick Doyles, un chauffeur de taxi plutôt rugueux, vaguement hostile, mais sous le charme de la belle journaliste tout de même. Elle sait qu’il est un fervent supporteur des Reds, le club de foot de Liverpool, et qu’il a un passé de hooligan.
Tel est le décor planté par Laurent Seyer, dans son dernier roman intitulé Ne plus jamais marcher seuls, paru aux Ed. Finitude en 2020.
La première rencontre entre la journaliste et le chauffeur de taxi est houleuse. Les questions et les réponses révèlent le gouffre qui les sépare. Les concepts qu’elle évoque « Europe » « vivre ensemble », « mondialisation », « écologie » exaspèrent Nick Doyles. Il lui répond « chacun chez soi », « crédit à rembourser », « survie », « risque de voir Uber obtenir sa licence à Liverpool. »
En préparant son interview Naomie a découvert avec horreur, sur internet, les vidéos du drame du Heysel survenu 30 ans auparavant à Bruxelles lors de la finale de la coupe d’Europe entre Liverpool et la Juventus de Turin. Lorsqu’elle y fait allusion, c’est comme si elle agitait un chiffon rouge devant un taureau. Nick lui rétorque qu’il a vécu Hillsborough, 96 morts et les Hooligans accusés à tort ! Echanges glacés.
Mais deux événements vont renverser la situation. Nick, le chauffeur de taxi, sauve un bébé d’immigré d’un incendie. Naomie, la journaliste française, commet par ignorance un crime de lèse-majesté qui enflamme la Diplomatie et les médias : elle a osé interroger la Reine venue visiter le héros à l’hôpital ! Cela fait bouger les lignes. Les carcans se fissurent. Il est en fait possible de se parler, de se comprendre, et même de communier à la liesse en entendant le stade chanter en chœur l’hymne de Liverpool : Ne plus jamais marcher seuls !
Vous l’aurez compris, le roman de Laurent Seyer est une comédie, légère, pétillante, avec beaucoup d’humour – anglais -bien sûr, mais les sujets évoqués sont graves. E.G. 6/10/20
Renaud Capuçon Mouvement perpétuel Flammarion, 2020
Renaud Capuçon, violoniste virtuose, a déjà enregistré une trentaine de disques, mais c’est la première fois qu’il prend la plume pour raconter son éveil à la musique dès son tout jeune âge, et son parcours de musicien.
Renaud Capuçon est un Savoyard. Les meilleurs souvenirs de son enfance se situent à la montagne : le ski avec ses cousins, les douceurs cuisinés par sa grand-mère de Bourg-Saint-Maurice et la musique découverte très tôt aux Arcs, alors une toute jeune station de ski. Le festival des Arcs proposait des concerts gratuits. Tous les soirs ses parents reprenaient la route et l’emmenaient écouter les musiciens les plus réputés. C’est ainsi que l’enfant a pressenti le bonheur de jouer ensemble, de partager des harmonies. La scène l’attirait mystérieusement.
Comme il a une très bonne oreille on lui donne un violon, dès 4 ans. L’environnement musical proposé par ses parents, sa passion pour la musique et son travail acharné lui permettent d’intégrer, dès l’âge de 14 ans, le Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Pendant 5 ans il passera 3 jours à Paris pour des cours de musique intensifs, puis le reste de la semaine à Chambéry pour continuer sa scolarité. Avec des passionnés comme lui, Renaud aime « lire la musique », c’est-à-dire de jouer pour la première fois le répertoire de musique de chambre pour piano et cordes, ceci jusque tard dans la nuit.
Son enthousiasme, sa rigueur, sa chaleur humaine et son sens de l’amitié lui ont permis de belles rencontres musicales au cours de ses études à Paris, à Berlin et lors des concerts. Isaac Stern, Daniel Barenboïm, Claudio Abbado, Martha Argerich ont eu une influence décisive. Dans cet ouvrage Renaud Capuçon rend un hommage appuyé et chaleureux à tous les amis musiciens avec qui il a eu l’occasion de jouer, et qui participent aux différents festivals qu’il a initiés.
Pour un violoniste la rencontre la plus magique, qui s’apparente à un coup de foudre, c’est la découverte de son violon. Lorsque Renaud Capuçon joua pour la première fois le vicomte de Panette, un Guarnerius de 1737, qui avait appartenu à Isaac Stern, ce fut une révélation. « J’eus l’impression d’avoir toujours connu ce violon… Il est un compagnon de tous les jours et mon double sur scène », écrit-il.
Renaud Capuçon est un homme engagé. Il aime transmettre sa passion, à ses élèves musiciens bien sûr, mais aussi au public sans grande connaissance musicale. La musique crée du lien entre les hommes.
Dans Mouvement perpétuel, au fil de courts chapitres, le musicien nous laisse découvrir ce qui donne sens et beauté à sa vie, la musique partagée, la poésie, sa famille, et le don de s’émerveiller. E.G. 20/09/2020
Jean-Marc Parisis L’Histoire de Sam ou l’avenir d’une émotion Flammarion, 2020
Voici un joli roman , lecteur .
Il nous entraîne « à la recherche du temps perdu » .
Sam-Pierre de son vrai nom- a quatorze ans et vit à Froncy une petite ville de région parisienne . C’est le dernier jour de classe du collège, il dispute une partie de foot avec ses copains et le ballon de foot passe au-dessus du mur du parc qui jouxte un pensionnat où séjournent des groupes d’adolescents étrangers venus .
Il y rencontre Deirdre, une jeune galloise . D’emblée ébloui par sa beauté nacrée,il ressent l’entente immédiate entre eux .Mais il doit quitter ,désespéré , le village dès le lendemain matin, pour le Périgord .
Deirdre lui remet son adresse, ils se promettent de ne pas s’oublier .
Sam écrira plusieurs lettres à Deirdre durant l’été . Une réponse lui parviendra , une fois , une seule, dont la froideur le déçoit .
Il oublie Deirdre . L’été de son bac , ses parents lui disent qu’une jeune fille à l’accent anglais a téléphoné pour savoir s’il était là . Mais il doit partir pour Barcelone avec sa petite amie du moment .
Pierre-Sam devient pilote de ligne , vole d’un continent à l’autre , d’une femme à une autre , tombe finalement amoureux d’ une hôtesse de l’air, qui le repousse .
Il s’enfonce alors dans une dépression sévère , et découvre la lecture, qui le sauve : Proust, Céline, Nerval et Les Filles du Feu .
Grâce à la rencontre d’un ancien camarade de classe, devenu parisien comme lui, il est invité , 25 ans plus tard , à l’anniversaire d’Eric, un ami commun qui n’a pas quitté Froncy .
Il les revoit tous , ceux de son ancienne bande , changés, certes , mais , surtout il ne retrouve pas le Froncy de son enfance, celui où il avait été heureux.
Surgit alors le souvenir de l’amour oublié , de Deirdre , de sa candeur, de sa beauté .
Sam comprend qu’il lui faut la retrouver , il espère , il veut savoir . Il se rend à Carliwyn …
Jean-Marc Parisis explore avec délicatesse les méandres du souvenir , insiste sur l’importance des émotions adolescentes . Il le fait à travers une écriture poétique, pressée , pressante , comme si le temps sautait des étapes . Les phrases sont savamment rythmées, les dialogues font mouche… la mélancolie nous transperce.
Vous serez séduits, lecteurs ! E.M. 21/06/20

Barbara ABEL Et les vivants autour Belfond
Connaissez-vous Barbara ABEL ? C’est une écrivaine belge, passionnée de théâtre et auteure de romans policiers et de thrillers psychologiques.
Je vous propose de découvrir aujourd’hui son dernier roman, intitulé Et les vivants autour, paru chez Belfond en mars 2020.
Dans une chambre d’hôpital une jeune femme de 29 ans semble endormie, sans aucune réaction. Voilà 4 ans que Jeanne est plongée dans un coma végétatif après un accident de voiture. Elle est maintenue en vie grâce à un respirateur. Mais l’espoir de la voir se réveiller s’éloigne, et l’équipe médicale souhaiterait interrompre cet acharnement thérapeutique.
Jusqu’à présent la famille Mercier a fait bloc autour de Jeanne, empêchant toute tentative d’arrêt des machines. Cependant lorsque le professeur Goossens demande à rencontrer au plus vite les parents de Jeanne ainsi que son mari Jérôme, la fébrilité et l’inquiétude fissurent l’accord familial de façade.
Voilà 4 ans que les membres de la famille gèrent comme ils peuvent ce traumatisme. Gilbert Mercier, le père, est un industriel, un homme de pouvoir cassant et autoritaire. Il n’en peut plus du calvaire que vit sa fille.
Micheline, la mère, passe son temps à l’hôpital auprès de sa fille à qui elle parle, elle lit des livres. Elle est persuadée qu’elle va se réveiller. Elle prie pour qu’un miracle ait lieu. C’est sa mission, sa raison de vivre.
Dans la famille Mercier il y a aussi Charlotte, la fille aînée qui s’est toujours sentie moins aimée et moins chanceuse que Jeanne, jusqu’à l’accident bien sûr. Elle voulait faire du théâtre mais travaille dans le restaurant de Guillaume, son mari, un restaurant au bord de la faillite.
Jérôme Delacre, le mari de Jeanne, est comédien. Il essaie de percer au théâtre, mais sa vie personnelle est un désert, lui qui n’est pas vraiment veuf, et s’interdit d’être heureux.
Le professeur Goossens a une annonce fort difficile à faire à la famille. Et en effet c’est un choc, un cataclysme qui cisaille l’équilibre des vivants autour de Jeanne l’endormie. Les personnalités se révèlent. Les décisions à prendre, et leurs conséquences multiples s’enchaînent les unes aux autres comme dans une sorte de jeu de massacre délicieusement sadique.
Dans ce thriller psychologique très bien construit, aux thèmes graves, Barbara Abel sème des indices et des touches d’humour caustique qui charment le lecteur jusqu’à la dernière page . E.G. 8/07/20
Pillip Lewis Les Jours de silence (Trad. de l’américain par Anne-Laure Tissut )Belfond, 2018
C’est un premier roman que je vous propose aujourd’hui : Les Jours de silence, écrit par Phillip Lewis, traduit de l’américain par Anne-Laure Tissut et paru chez Belfond.
Imaginez, perchée dans la montagne, une grande maison solitaire, toute en verre et en métal. Un oiseau de proie plane au-dessus des cimes. Nous sommes au cœur des Appalaches, dans le sud des Etats-Unis. Pour les habitants de la bourgade la plus proche, cette maison à vendre depuis des années est la maison-vautour ; un drame familial terrible y a eu lieu.
Henry Aston, revenu depuis peu dans la région, la visite avec des sentiments mêlés de répulsion et d’attirance pour cette construction gothique inhospitalière. Tout est resté en l’état. Lorsqu’il découvre au premier étage une immense bibliothèque avec des livres couvrant tous les murs jusqu’au plafond, sa décision est prise. « Là je pourrai écrire, se dit-il » Henry Aston est avocat et surtout féru de littérature, le seul de sa famille à avoir fait des études à l’université.
Il s’en était allé, loin des siens, avec pour ambition écrire, comme les auteurs qu’il admire tant, Tom Wolfe, William Faulkner, Edgar Poe. Le voici de retour accompagné d’Eléonore, sa femme, passionnée par les chevaux et la nature. Un fils naît, Henry junior, le narrateur, puis une fillette prénommée Threnody d’après un poème de son père. Un troisième enfant mourra tragiquement.
Toutes ces années Henry écrit, tente d’écrire son grand roman. A ses pieds, le plus silencieux possible Henry junior lit. Il admire ce père qui ne sait pas communiquer avec ses enfants, mais qui lui récite des poèmes, qui la nuit joue du piano, et, dans le silence noircit des feuilles et des feuilles. Mutique et amer le père boit de plus en plus. Un soir il disparaît avec son manuscrit, les abandonnant tous.
Pour se construire et devenir un homme Henry junior fuit la malédiction de la maison et la solitude de la montagne, bien décidé à ne pas revenir sur les traces de son père, son modèle. Mais peut-on renier sa famille et ses racines sans perdre son âme ?
L’atmosphère étrange de ce roman d’apprentissage évoque Edgar Poe, William Faulkner, la littérature du sud profond. Au cœur des montagnes intemporelles, la nature, les livres et la musique permettent enfin à Henry de se réconcilier avec son histoire. C’est un hymne à la littérature. E.G. 25/05/20
Minh Tran Huy Les Inconsolés Actes Sud 2020
Voici un conte semblable à tous à la fois merveilleux et …cruel, très cruel. D’ailleurs le premier chapitre du roman nous montre une scène de crime…
Lise a vécu son enfance et ses années de lycée dans une banlieue parisienne éloignée. Elle est issue d’un foyer d’ingénieurs, d’origine modeste. Son père est vietnamien, sa mère est française. Lise elle-même s’est toujours sentie mal aimée.
Alors, quand Lise – après avoir été une brillante élève -, arrive dans cette Grande Ecole parisienne fréquentée par les rejetons de la meilleure bourgeoisie, quand elle est remarquée, puis follement aimée de Louis Vanel, l’un de ces des plus beaux jeunes gens qui n’ont jamais douté de leur pouvoir ni de leur capacité à dominer le monde, elle n’y croit qu’à moitié, car elle doute profondément de son aptitude à être aimée.
Pourtant la passion va emporter Lise, comme Louis, même si la jeune fillese compare secrètement à Cendrillon, quand elle vient s’installer dans le luxueux appartement de Louis. Elle côtoie aussi Annabelle, Gaspard, les amis fortunés de Louis.
Lise emmène Louis visiter les ruines d’Etambel. Le château d’Etambelle était le lieu de ses incursions enfantines , de ses rêveries d’adolescente…Un château de Belle au Bois dormant. Louis réveille la Belle.
Cependant, les disputes surgissent, Louis ne pense qu’à la réussite, Lise n’a d’intérêt que pour l’art, la poésie, le cinéma. Froidement, selon Lise, Louis annonce qu’il va aller parfaire sa formation à New York. D’abord décidée à le suivre et à chercher une université là-bas, la jeune fille est sollicitée par une revue pour assurer les critiques, cinématographiques en particulier. Fière, dévastée devant le peu d’insistance de Louis pour qu’elle l’accompagne, elle décide de rester à Paris.
Ils se séparent, après une énième dispute…
Lise et Louis se marieront, chacun de son côté. Dix ans plus tard, ils se retrouveront, …pour quel dénouement ?
Le mystère s’ est épaissi au cours du récit, qui alterne le point de vue de Lise et celui d’un Autre, indéfini, mais dont le ton est toujours acide. L’identité de cet « autre » ne sera révélée qu’à la fin.
L’écriture élégante, contourne les faits, les enveloppe d’une sorte de brume, qui distille, tout en la dissimulant , une violence feutrée.
Un conte, mais aussi un thriller ! E.M. 21/04/20
Fabrice Humbert Le Monde n’existe pas Gallimard 2020
Un soir, au cœur de Manhattan à New York, apparaît sur les écrans géants de Times Square la photo démultipliée d’un homme recherché par toutes les polices. Il s’agit du violeur et meurtrier d’une jeune fille de 16 ans, Clara Montes, à Drysden, une petite ville du Colorado.
Sidéré Adam Vollmann reconnaît instantanément Ethan Shaw, la star du lycée, qui l’avait aidé, lui, le petit nouveau mal dans sa peau. C’était il y a 20 ans.
Le narrateur Adam Vollmann est aujourd’hui journaliste au New Yorker. L’emballement de la machine médiatique le laisse perplexe et très mal à l’aise. Il sait décrypter les ficelles des chaînes d’information en continue, la fausse impartialité des intervenants sur les plateaux, la gestion des indices, vrais ou faux, pour relancer l’attention. Adam ne croit pas au portrait qui est fait d’Ethan Shaw, même si on ne peut prétendre vraiment connaître quelqu’un. Il en a le souvenir d’un garçon très beau, sportif, champion de tennis et de football, un demi-dieu à qui tout souriait et qui était son unique ami. Adam décide de retourner à Drysden pour enquêter à sa façon et tenter d’approcher la vérité.
Mais retourner incognito dans la ville que l’on a détestée à l’adolescence n’est pas chose facile. Adam se sent observé, traqué, voire suspecté. Son téléphone même ne lui inspire plus confiance. Poser des questions qui égratignent le récit officiel de la police et des médias s’avère fort dangereux.
Quelle est la vérité d’un témoignage ? Quelle logique sous-tend le récit d’un fait-divers verrouillé par la police et dont les rebondissements rappellent la mécanique d’un thriller ? Quel est l’intérêt du président Clifford dans cette chasse à l’homme ?
A la suite d’Adam Vollmann le lecteur est entraîné dans une enquête passionnante et très troublante. Le monde n’existe pas se répète Vollmann. Seul compterait alors le récit qu’on en fait ? Quel est le travail du journaliste ? L’auteur conduit son récit d’une main de maître, en équilibre entre illusion et réalité, et ouvrant pour le lecteur des perspectives glaçantes sur notre monde de l’image et de l’information théâtralisée, voire manipulée. E.G. 2/04/2020
Pascal Manoukian, le Cercle des Hommes Seuil 2020
Je vous propose de découvrir aujourd’hui le roman de Pascal Manoukian, paru en janvier 2020 au Seuil, qui s’intitule Le Cercle des Hommes.
Aux commandes de son biréacteur personnel, Gabriel, capitaine d’industrie aux dents longues, survole la forêt amazonienne. Au cœur du moutonnement vert de la canopée il remarque une montagne encerclée par un fleuve se jetant dans des chutes vertigineuses. Un petit paradis inviolé non mentionné sur sa carte. Emu par tant de beauté, Gabriel survole à nouveau l’endroit à plus basse altitude pour prendre une photo, lorsque soudain un vol d’aras s’engouffre dans les réacteurs. Chute inexorable de l’avion dans la forêt.
Ce cercle quasi parfait délimité par la rivière est le territoire des Yacou qui y vivent en petits clans de 8 personnes maximum, en parfaite symbiose avec les animaux, les arbres, les plantes, et préservés de tout échange avec le monde extérieur. Ils ont l’habitude de commencer la journée en riant, et en définissant l’exacte qualité du vert des feuilles ce qui détermine leur activité. Les hommes sont des cueilleurs et les femmes des chasseuses. Elles seules portent des armes. L’inquiétude grandit cependant dans le groupe, car des clans disparaissent et les arbres pleurent aux confins de leur monde qui s’amenuise.
Un jeune Yacou découvre » La Chose » sous des fougères. Nu, brûlé, poilu et pansu, blessé, aveugle et muet, inconscient, le corps est-il celui d’un animal inconnu ? d’un homme ? Hautement improbable ! N’arrivant pas à décider, le chef ordonne de jeter » la Chose » dans une fosse avec des cochons sauvages. Ils la soignent un peu et l’observent. C’est sûrement un animal : il ne sait pas faire du feu avec deux bâtons ! Pas facile pour Gabriel, qui retrouve peu à peu ses esprits, de prouver aux Yacou qu’il est un homme. L’initiation à la survie en milieu hostile s’avère douloureuse pour l’ex homme d’affaires. Au fil du temps, dans le dénuement, au contact des Yacou, son humanité se révèle. Lui seul comprend vraiment ce qui menace leur mode de vie.
Le Cercle des Hommes n’est pas un roman ethnologique même s’il est très documenté car Pascal Manoukian, photographe et journaliste, a eu dans le passé la chance d’approcher des Indiens d’Amazonie complètement isolés.
C’est un roman d’aventure foisonnant, à la fois drôle et terrible, qui parle de notre temps, de notre planète et de notre responsabilité. Le talent du romancier et la force de la fiction ont le pouvoir d’ouvrir nos consciences bien plus efficacement que certains discours.
Je vous conseille ce roman passionnant de Pascal Manoukian, Le Cercle des Hommes, qui vient de paraître au Seuil. E.G. 10/03/2020
Ayelet Gundar-Goshen La Menteuse et la ville (Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowicz ) Les Presses de la Cité, 22 août 2019
Ayelet Gundar-Goshen est une jeune écrivaine israélienne, La Menteuse et la ville. est son troisième roman
A 17 ans passés, Nymphéa Shalev juge sa vie insipide. Elle se trouve trop ronde, boutonneuse, tellement moins jolie que sa sœur cadette Maya. Et puis surtout elle ne fait pas partie d’une bande de copains, et elle n’a pas de petit ami. Dans quelques mois, à l’issue de son année de terminale, elle se retrouvera dans l’uniforme vert de l’armée sans avoir rien vécu… En cette fin d’été Nymphéa vend des glaces dans une boutique et essaie de faire bonne figure. Entre un client contrarié qui se met à l’agonir d’injures plus blessantes les unes que les autres. Nymphéa s’enfuit dans l’arrière-cour, il la suit, lui attrape le bras, et Nymphéa se met à hurler, des hurlements stridents qui attirent à elle commerçants, agents de police, militaires passant dans la rue. C’est ainsi qu’Avishaï Milner, un ex chanteur populaire de télé crochet, se retrouve inculpé de tentative de viol sur mineure. Nymphéa ne dément pas. Toutes ces attentions lui font un bien fou. Elle existe enfin. Elle s’épanouit. A la télévision, sur les réseaux sociaux, au lycée, elle est devenue une icône, la jeune fille courageuse qui témoigne à visage découvert. Le scoop au parfum de scandale né dans l’arrière-cour du glacier s’est emparé de toute la ville, de tout le pays même.
Deux personnes cependant connaissent la vérité. Un mendiant sourd et muet était dans la cour, mais comme il n’est en fait ni sourd, ni muet, il hésite à dénoncer la jeune fille. Assis sur le rebord de sa fenêtre au 4e étage, Leo Maimon, un adolescent maigrichon et solitaire, réfléchissait comme à son habitude au meilleur moment de se suicider. Il a tout vu. Il décide de la faire chanter : elle devra prononcer son nom lors de sa prochaine interview télévisée et dire qu’il est son petit ami.
Dans la ville de nombreuses personnes pimentent leur vie de mensonges qui les entrainent plus loin que prévu. Raymonde par exemple, vieille pensionnaire d’une maison de retraite et originaire d’Afrique du Nord, prend, à sa mort, l’identité de son amie Rivka, juive ashkénaze rescapée d’Auschwitz. Elle se retrouve invitée à accompagner une classe de lycéens, la classe de Nymphéa, en Pologne en tant que témoin et rescapée de la Shoah.
L’auteure observe avec tendresse et amusement ses personnages qui s’emmêlent dans leurs contradictions et leurs arrangements avec la vérité. La Menteuse et la ville est à la fois une fable, et un roman à suspense très drôle et un peu cruel, en phase avec la vie actuelle soumise au pouvoir des réseaux sociaux et de la télévision, mais aussi très ancré dans la vie d’Israël et son histoire. L’écriture d’Ayelet Gundar-Goshen peut être ironique, drôle, poétique, et toujours très sensible et sensuelle. C’est une belle rencontre. E.G. 11/02/2020
Victor Jestin La Chaleur Flammarion, 2019
Ce très court roman de 139 pages est avant tout un roman initiatique dérangeant : que peut-il se passer dans la tête d’un adolescent pour ne pas venir en aide ? Pour ne pas réagir ?
L’incipit est glaçant : « Oscar est mort parce que je l’ai regardé mourir, sans bouger. Il est mort étranglé par les cordes d’une balançoire. »
Pourquoi Léonard, le narrateur, âgé de 17 ans, n’est-il pas intervenu dans un premier temps puis dans un second temps d’une manière tout à fait inattendue ? Car non seulement celui-ci est resté impassible face au déroulement du drame mais bien plus surprenant encore, il a transporté le corps, comme l’aurait fait l’auteur d’un crime, et l’a enterré dans le sable.
Dès lors la culpabilité n’aura de cesse de le ronger.
L’action se passe le dernier week-end d’août dans un camping des Landes, au bord de l’océan.
La chaleur est accablante et les vacanciers indolents.
Est-ce cette chaleur suffocante qui a altéré le jugement de Léonard ? Et bien sûr tout au long du récit on pense à Camus et à son anti-héros Meursault, étranger au monde qui l’entoure.
Car c’est bien de ce mal dont l’adolescent souffre : tout l’encombre, le met mal à l’aise, l’oppresse ; le corps dénudé des vacanciers, les adultes, l’oisiveté, le lieu clos du camping.
Même avec ses proches il n’arrive pas à communiquer.
Il n’arrive pas à s’intégrer dans les groupes de jeunes qui jouissent du moment présent.
Les vacances ne sont-elles pas faites pour la détente, l’amusement, les soirées alcoolisées, le sexe ?
L’atmosphère du roman est lourde, pesante.
Le mal être de l’adolescent croît au fil des pages. Il s’interroge : « Rester immobile, est-ce pareil que tuer ? »
La scène de la veille lui revient constamment en mémoire.
Léonard est à plusieurs reprises sur le point d’avouer, à ses parents, à la mère d’Oscar et à chaque fois les mots se bloquent. Rien ne sort de sa bouche.
Son copain Louis ne lui parle que de sexe, de désir.
Du désir, Léonard en éprouve pour Luce, l’ancienne copine d’Oscar, justement. Réussira-t-il à la séduire ?
Il faut dire qu’il ne manque pas de charme, plutôt beau garçon, du genre silencieux, ce qui lui donne une allure énigmatique.
Quels sont ses sentiments ? Est-il tombé amoureux ? Oui. Mais Luce, qu’éprouve-t-elle pour lui ?
Leurs corps sont entrés en contact, ensuite….Plus rien……
C’est la fin du week-end, les vacanciers songent au départ.
Alors que Léonard et sa famille quittent le camping dans la bonne humeur, la chute….Vertigineuse….A laquelle nul ne s’attend, survient !
La Chaleur de Victor Jestin a été récompensé par Le Prix de la Vocation et le Prix Femina des Lycéens A.F. 5/01/20
*****************
Jean-Christophe Rufin Les Trois femmes du Consul Flammarion 2019 .
Saviez vous que notre académicien s’est lancé dans l’écriture de polars ?
Ce livre Les Trois femmes du consul est le deuxième de la série, où apparaît AurelTimescu le consul ,ou plutôt le consul adjoint, personnage a typique,toujours vêtu d’un long manteau de laine même au Mozanbique où on l’ a envoyé et bien qu’il déteste la chaleur, mais il n’est pas à une contradiction près !
Originaire de Roumanie,il a fui la dictature de Ceaucescu,a appris le français et a réussi à entrer au quai d’Orsay pour servir la France .
A vrai dire le choix du Mozambique ne l’enchante guère , pas plus que la Guinée dans le roman précédent , ce que comprennent bien ses supérieurs qui l’envoient dans des postes dédaignés par ses collègues et dirigés par un jeune consul ambitieux .
Cela arrange bien notre homme plutôt amateur de vin blanc et de musique dans laquelle il trouve son inspiration, car Aurel est surtout épris de justice et aime résoudre des situations, disons difficiles…
Or ce jour là on a retrouvé Roger Beliot noyé au fond de sa piscine ,
Ce « le vieux blanc « comme on dit là- bas, a eu son heure de gloire comme riche propriétaire d’un complexe hôtelier maintenant quasiment déserté .
Aurel y a séjourné quelque temps lors de sa prise de poste à Maputo, il en était le seul occupant à l’exception de Françoise, l’ex femme de Roger, une française arrivée depuis peu pour ,dit elle, se battre avec lui il n’en faut pas plus à la police locale pour la désigner comme coupable et la jeter en
prison .
Aurel va intervenir, la prison ,il connaît , il y a fait plusieurs séjours du temps de la dictature roumaine et les prisons africaines ressemblent , paraît-il, beaucoup à celles de Bucarest, je vous laisse découvrir la description de cette prison ,où règne ,dit l’auteur ,une franche rigolade !
Aurel veut tirer cette affaire au clair et savoir qui est l’assassin ou plutôt l’assassine car le riche hôtelier était remarié avec Fatoumata une aussi riche mozambicaine et ilentretenait une liaison avec Lucrecia, beaucoup plus jeune, enceinte et pour l’heure réfugiée dans un couvent , la description du couvent est au moins aussi drôle que celle de la prison
Bref ,notre détective va remuer ciel et terre pour découvrir la vérité et comme il n’est pas joignable (il se refuse à acquérir un téléphone portable au grand dam de son patron) il est donc libre de ses mouvements .
Il finit par découvrir un scandale qui risque de coûter cher à la France et qui a coûté sa vie à l’hôtelier .
Réunion au sommet avec l’ambassadeur et le consul , furieux de s’être faits avoir et inquiets pour leur réputation et celle de la France.
je vous laise découvrir cette scène homérque ou plutôt monastisque ,car elle se passe dans le couvent sus nommé !
Ce livre se lit d’une traite,
Mais, n’oublions pas que JC Rufin a été lui-même ambassadeur de France en Afrique, qu’il connaît particulièrement bien le fonctionnement et les travers du milieu diplomatique, de même il connaît les coutumes africaines, parfois très drôles et les conséquences souvent dramatiques de certains trafics .
Enfin le style de l’écrivain est un véritable enchantement !
Vivement qu’Aurel soit nommé dans un autre pays d’Afrique , bien sûr, et que nous puissions savourer le récit de ses nouvelles aventures ! L.M. 4/02/2020
Kaouther ADIMI Les Petits de Décembre Ed. du Seuil
Dans son dernier roman Les Petits de décembre Kaouther ADIMI parle à nouveau avec amour de son pays, l’Algérie. Cette jeune romancière de 33 ans est vraiment très talentueuse, et n’en finit plus d’approfondir son univers tour à tour sensible et érudit entre la France et les pays du Maghreb.
Nous voici donc à Dely Brahim dans la banlieue d’Alger. Au centre de la cité dite du 11 décembre 1960 en mémoire des manifestations indépendantistes, les enfants ont investi un terrain abandonné au milieu des habitations et des rues non goudronnées Pour jouer au football et rêver de gloire et de grandeur La vie y est plutôt harmonieuse jusqu’à ce jour de février 2016 où deux généraux du régime descendent de leur voiture avec chauffeur pour annoncer aux habitants leur volonté de se faire construire de belles villas sur cette parcelle déclarant que ce terrain leur appartient, « papiers officiels » à l’appui.
Mais pour les enfants du quartier, il est hors de question de laisser leur terrain ! À l’appel des trois figures principales que sont Inès, Jamyl et Mahdi, une résistance s’organise. Rejoints par les enfants et jeunes des quartiers voisins, ils sont bien décidés à faire valoir leurs droits et à sauver leur seul espace de liberté.
Avec Les Petits de décembre, Kaouther Adimi construit un roman remarquable : à la fois sensible par la force de ses personnages et la fraîcheur de ces enfants affranchis de la peur qui musèle les parents mais aussi enrichissant grâce au journal qu’écrit le personnage d’ Adila, militante pendant la guerre d’Algérie qui retrace les grandes lignes historiques du pays.
Ainsi l’auteur rend hommage aux anciens qui se sont battus et vivent aujourd’hui avec les cicatrices du combat . Mais elle montre également l’état d’esprit d’une nouvelle génération prête à défendre ses droits .
Kaouther Adimi porte un regard acéré sur la société algérienne avec beaucoup de tendresse et de générosité pour ses petits héros. Elle écrit bien et la qualité de son écriture lui permet de délivrer son message avec poésie et efficacité.
C’est une plaisante fable politique acerbe, critique et parfois désopilante sur le pouvoir tel qu’il s’exerce en Algérie depuis l’Indépendance avec ses abus, ses corruptions, ses destins brisés, ses mensonges et ses hypocrisies. Le roman montre également que la machine est sur les rails et se lance à petits pas, lentement mais sûrement, vers une liberté toujours espérée .
Un roman attachant, puissant et tellement actuel M.D.M.12/ XII /19
************
Akira MIZUBAYASHI Ame brisée Gallimard 2019
Au tout début du roman, nous sommes en 1938 à Tokyo .
Dans une salle de la Maison Municipale, un quatuor répète le morceau intitulé Rosamunde de Schubert . Ce quatuor est composé de Yu Mizusawa , professeur, et de trois étudiants chinois, dont une jeune femme, Yanfen.
Le fils de Yu,Rei âgé de 11 ans, orphelin de mère, lit un livre dans une autre partie de la salle. Surgit un groupe de soldats venus perquisitionner. Sur l’ordre de son père, Rei se réfugie dans une armoire. Les soldats accusent Yu d’espionnage au profit de la Chine. Brutal, l’un d’eux piétine le violon de Yu, fabriqué par Nicolas Vuillaume à Méricourt .
Survient alors le lieutenant Kurokami qui demande à Yu de jouer un morceau pour prouver qu’il est bien musicien . Kurokami ne réussira cependant pas à empêcher l’arrestation du quatuor, mais, découvrant Rei dans l’armoire, il lui confie, avant de se retirer, le violon de Yu .
Bien des années plus tard , nous retrouvons Rei devenu Jacques Maillard, la suite de son adoption par un ami français de son père. Après des études à Méricourt , puis à Crémone, il s’est installé comme luthier à Paris .
Un jour, Hélène, son épouse, qui fabrique des archets, l’incite à contacter une jeune violoniste japonaise, Midori Yamazaki, qui s’avère être la petite fille du lieutenant Kurokami .
A partir de cet instant, Rei-Jacques va remonter le fil de son histoire, revoir à Shangaï, Yanfen, devenue une vieille femme . Celle-ci lui remettra le cardigan rose de sa mère , que Yu Musiwa lui avait, un jour de froidue, prêté ainsi qu’un livre de son père . L’orphelin fracassé va-t-il, grâce à ces précieux souvenirs, retrouver le chemin de son enfance ?
Car patiemment, longuement, il a restauré le beau violon de bois sombre de Yu, et jugeant Midori digne de l’instrument, il le lui a confié .
Ceux-là mêmes que son père avait joués, le jour de la perquisition .
Ce roman, construit comme un morceau de musique, à l’écriture élégante et précise, s’impose avec pudeur – et d’autant plus de force- comme un hymne à la musique et à la littérature, érigées en antidotes de la haine, aux horreurs de la guerre, de toutes les guerres …
Un très beau livre ! E.M. 3 / XII / 19
Sébastien Spitzer Le Coeur battant du monde Albin Michel 2019
Le cœur battant du monde c’est Londres, la capitale de l’immense empire de la reine Victoria. La Grande Exposition universelle de 1851 en célèbre la puissance. La révolution industrielle bat son plein grâce à la houille et au développement des machines à vapeur. Dans les rues de Londres les tensions et les dangers sont palpables, l’opulence insolente côtoie la plus criante misère. La société est en pleine mutation et implacable pour les petites gens.
Charlotte est l’une d’elles. Elle a fui l’Irlande en raison de la famine qui y règne, et cherche du travail à Londres, tandis que son amoureux est parti tenter sa chance en Amérique. Elle cache soigneusement son crâne rasé, car elle a vendu ses cheveux, et sa grossesse, pour se présenter au mieux au gérant de l’agence Thomas Cook située dans la gare. Mais un voleur se précipite dans l’agence, brutalise la jeune femme, et ressort avec les quelques billets de la caisse. Un médecin prend en charge la blessée qui perd son bébé. Curieux ce docteur Malte qui soigne les pauvres avec ses pilules » à tout faire « , qui « rend service », après avoir appris la médecine sur le tas sur les bateaux. Passe dans la gare un gentleman élégant et pressé venant de Manchester. Son nom est Engels. Il a rendez-vous avec un ami qui se cache et qui a des ennuis. On l’appelle Le Maure mais son vrai nom est Karl Marx.
Eh oui il s’agit bien de Friedrich Engels et de Karl Marx ! Les deux hommes, persona non grata dans leur pays l’Allemagne, partagent les mêmes idéaux révolutionnaires communistes. Engels fait fortune grâce à la filature de son père à Manchester, et dans le même temps, soutient secrètement financièrement Marx et sa famille nombreuse. Dans le cœur battant du monde capitaliste le Maure rédige son manifeste, théorise la révolution, attend son heure, et apprécie le confort bourgeois… Le gros ennui de Marx c’est qu’il a « fauté avec la bonne », une bêtise ! Engels doit trouver une solution radicale ! C’est là qu’intervient le bien arrangeant Dr Malte qui décide de confier secrètement l’enfant bien vivant, un garçon, à Charlotte. Personne bien sûr ne doit connaître la vérité. Pour l’amour du petit Freddy Charlotte l’Irlandaise est prête à affronter tous les dangers. Mais Freddy grandit et le secret s’effrite…
Dès les premières lignes l’auteur nous embarque dans cette intrigue éminemment romanesque et inspirée de faits réels. Le récit est enlevé. L’auteur entremêle avec bonheur les fils de l’histoire. Il y a des rebondissements, du suspense, de l’humour. Les personnages sont hauts en couleur et pleins de vie. C’est une plongée passionnante dans les soubresauts de la révolution industrielle et les crises de l’histoire de l’Angleterre à la fin du XIXe siècle. E.G. 26/ XI /19
**************
Bérengère Cornut De pierre et d’os Le Tripode 2019
Une nuit, sur la banquise, une jeune fille tenaillée par un mal de ventre intense sort de la chaleur de l’igloo familial, s’éloigne de quelques pas quand, brusquement, la glace se fend avec fracas. La faille s’élargit vite, le brouillard se lève. Son père a juste le temps de lui envoyer l’amulette qu’il porte autour du cou, une dent d’ours, une lourde peau d’ours roulée serrée, ainsi qu’un harpon qui malheureusement se brise en tombant. Uqsuralik voit sa famille disparaître en silence dans la brume. La voici complètement isolée avec pour seule compagnie cinq chiens de traineau qui s’étaient enfouis sous la neige sur ce coin de banquise. Elle peut faire confiance à Ikasuk, la meilleure chienne de son père, mais doit se méfier des jeunes mâles prêts à l’attaquer. Impossible de s’apitoyer sur son sort, dans ce froid polaire il faut agir et marcher sous la clarté de la lune jusqu’à un bout de terre ferme pour tenter de survivre. Elle marche pendant des jours.
C’est Uqsuralik la narratrice. Le lecteur s’attache à ses pas sur la banquise dans la lumière bleutée de la nuit. Rien de romantique cependant, la faim tenaille l’adolescente et les chiens. La mort rode. Uqsuralik tue un jeune mâle agressif pour apaiser un peu sa faim et celle des autres chiens. Elle doit se comporter en chef de meute pour qu’ils chassent pour elle. Elle cherche des traces laissées par l’homme ou les animaux, et l’aide des esprits. Elle rencontre enfin un groupe de familles et doit trouver sa place auprès d’eux, ce qui n’est pas sans danger.
En courts chapitres, avec des mots simples et imagés, Uqsuralik raconte sa vie de femme inuit, de mère, puis de grand-mère, qui toujours affronte son destin. Elle nous fait pénétrer dans un univers invisible où tout est en correspondance, le monde des hommes, les animaux, l’eau, la glace et la roche, la vie et la mort, le monde des esprits. Les chants et la poésie ponctuent la vie du groupe, accompagnent la naissance et la mort et rythment le roman. Les femmes sont fortes, puissantes, souvent un peu chamanes.
De pierre et d’os est un récit initiatique fascinant et lumineux. Par ce beau roman Bérengère Cornut se fait le passeur d’une civilisation millénaire toujours vivante. Un cahier de photographies complète le récit. E.G. 12 / XI / 19
********************
Jeanne Benameur Ceux qui partent Actes Sud 2019
[En 1910,un groupe d’émigrants européens passent une nuit sur Ellis Island, retenus avant de mettre le pied sur le sol américain . Ici se nouent des liens, se renforcent les espérances de liberté .]
Ce roman nous transporte, lecteur, sur Ellis Island , en 1910, là où débarque tout émigrant , pour être examiné et interrogé , avant de poser le pied sur le sol américain.
Ce jour-là, font partie des voyageurs Emilia et son père, Donato Scarpa, italiens aisés, Esther, Arménienne, Gabor, tzigane. Ils attendent et passeront la nuit ici .
Andrew Jonson, lui, américain depuis trois générations, est là pour les photographier : malgré les études de droit imposées par sa famille,des immigrants de la première heure, c’est la photo qui le passionne .
Ces personnages vont se rencontrer , se parler, car la rencontre est peut-être le thème principal de ce roman, rencontres amoureuses, amicales. Inter-générationnelles, elles brassent aussi, les classes sociales .Les liens vont s’entrecroiser ,ainsi que les destins ,chacun se tournant tantôt vers le passé, tantôt vers l’avenir .
Les difficultés à être accepté par l’autre , celui qui est déjà devenu américain en l’occurrence, sont mises à nu avec finesse par l’écriture de Jeanne Benameur.
L’intime , la sensibilité de chacun sont explorés .
Comment se faire humble quand on est conscient de sa valeur ? Comment faire face aux contraintes ? Comment aller de l’avant , oublier le passé, ou , plutôt , le retenir , mais au tréfonds de soi ? Comment offrir son corps à la nouveauté , mais préserver sa liberté ?Et, ces primo Américains ,si orgueilleux , se souviennent-ils encore de leurs origines ?
La nuit sera riche en apprentissages et en émotions sur Ellis Island
Quel avenir pour la belle et fougueuse Emilia ? Pour Hazé, qui dut s’adonner d ’abord à la prostitution avant de gagner sa liberté ? Donato va-t-il oublier sa chère Grazia ? Esther sait qu’elle inventera de nouvelles robes pour les riches Américaines .Quant à Gabor , où mènera-t-il ses pas loin du clan ? Andrew fera le mariage souhaité par ses parents , mais son père ne contrariera pas sa passion pour la photographie.
Que de personnages attachants sous la plume de Jeanne Benameur !Lyrisme et poésie , vous envelopperont, lecteurs avant de vous laisser un peu démunis sur le quai d’Ellis Island ! E.M. 5 /11/ 19
***********
Simone Van der Vlugt, Neige rouge Philippe Rey 2019
Chers lecteurs , voici un roman qui nous plonge au coeur des luttes religieuses qui se sont produites au XVIème siècle aux Pays-Bas . Un substrat historique passionnant,donc, mais , aussi , la peinture psychologique de personnages bien individualisés , voire historiquement authentiques , comme le prince Guillaume d’Orange -Nassau, père de l’indépendance néerlandaise .
En 1552,à Leyde , Liedeweij Feelinck, orpheline de mère , très proche de son père, demande à Andries Grieffen , médecin réputé, de soigner ce dernier .
D’emblée les jeunes gens se sentent attirés l’un vers l’autre, à tel point que Liedeweij, quoique catholique, finira par rompre toute relation avec son père-intraitable dans sa fidélité à l’Église Romaine- pour épouser Andries, Elle l ‘accompagne à Breda, où il exerce son art de médecin , au service de Guillaume d’Orange et de sa famille, en particulier.
Guillaume d’Orange a été nommé gouverneur de Hollande par Charles Quint ,et il essaie d’éviter les affrontements entre catholiques et calvinistes , malgré sa propre conversion au protestantisme . Mais , Philippe II, devenu roi d’Espagne à la mort de son père, intensifie les persécutions de l’Inquisition contre les réformés , et la lutte s’engage entre les gueux – ainsi nomme-t-on les Réformés , même les nobles, attachés à la liberté de culte – et les émissaires du roi d’Espagne .
Guillaume et les siens se sont repliés sur l’Allemagne, espérant mener plus aisément la guerre contre les Espagnols en levant des mercenaires dans ce pays .L’Inquisition est féroce,des villes sont saccagées, leurs habitants massacrés . C’est le cas à Naarden , où, après le départ du prince, s’est installée la famille Grieffen, industrieuse et toujours unie.
Seule, Isabella , la fille aînée du couple formé par Liedeweij et Andries, échappe au massacre . Elle se réfugie à Leyde , la ville natale de sa mère .
Comment cette toute jeune fille , forte du souvenir de ses exemplaires parents , va-t-elle survivre dans cette Hollande déchirée ? Comment Guillaume d’Orange parviendra-t-il à empêcher l’annexion des Pays-Bas à la couronne d ‘Espagne ?
Lecteurs,vous serez tenus en haleine par la petite histoire comme par la Grande . Vous apprécierez les descriptions précises des coutumes du peuple hollandais au XVIème siècle ,celles des riches intérieurs, des paysages également .
C’est une lecture dépaysante et très instructive que nous propose Simone van der Vlugt , un bonheur. E.M. 10/09/19
*******************