Patrick Modiano Prix Nobel

Patrick Modiano, lauréat du prix Nobel de littérature 2014, est l'auteur d'une trentaine de romans.  REUTERS/Charles Platiau

Patrick Modiano Prix Nobel de Littérature 2014

Patrick Modiano a écrit trente romans , pour les découvrir, voici cinq suggestions de Denis Cosnard, journaliste au Monde, passionné de Modiano comme le confirme son ouvrage Dans la peau de Patrick Modiano Fayard 2010
«A force d’être un lecteur fidèle et attentif, je me suis rendu compte qu’il y avait, dans l’œuvre de Patrick Modiano, des noms, des numéros de téléphone, des scènes, des personnages récurrents, un « déjà-vu » éclairé chaque fois de façon différente. J’ai voulu raconter et ordonner tout ça»,  a-t-il expliqué après avoir appris l’attribution du Nobel à l’écrivain  ( Libération  Alexandra Schwartzbrod 9/10/14 )
Depuis son premier roman, La Place de l’étoile, en 1968, Patrick Modiano, a signé plus de trente ouvrages. Mais, l’auteur, qui s’est vu décerner jeudi 9 octobre le prix Nobel de littérature 2014, assure « qu’il a l’impression d’écrire toujours le même livre de manière discontinue  depuis 45 ans », à quelques variations près.
  • Dora Bruder (1997). Le plus poignant, le plus fort de toute l’œuvre de Patrick Modiano. A partir d’une petite annonce trouvée dans un Paris-Soir de 1941, l’écrivain se lance sur les traces d’une jeune fille juive, une fugueuse disparue dans la nuit noire de l’Occupation. A travers cette enquête, Modiano cherche Dora, mais aussi son propre père, qui se cachait également dans le Paris de cette époque. Absolument magnifique, même s’il ne s’agit pas d’un roman.
  • Rue des boutiques obscures (1978). Prix Goncourt 1978, ce roman est l’un des plus connus de l’auteur. C’est aussi l’un de ses meilleurs. Le « détective » Modiano y est à son sommet. Il passe d’un témoin à un autre, fouille dans les bottins à la recherche d’un nom, explore de fausses pistes. Guy, cet amnésique à la recherche de son passé, finit par retrouver une identité et une histoire – mais sont-ce vraiment les siennes ? A noter, contrairement à bien d’autres titres de Modiano, que celui-ci ne concerne pas Paris : c’est à Rome que se trouve la rue des Boutiques obscures.
  • Livret de famille (1977). Une quinzaine de récits juxtaposés, tous plus ou moins autobiographiques. Dès le deuxième, on découvre au détour de deux répliques que le narrateur a pour nom Modiano, et pour prénom Patrick. Est-ce pour autant l’écrivain lui-même ? Bienvenue au royaume de l’autofiction et de ses leurres délicieusement troublants.
  • Remise de peine (1988). Ce récit court autour de deux enfants abandonnés par leurs parents entre des mains peu recommandables a des faux airs de conte de fées. C’est avant tout un très émouvant tombeau à la mémoire de Rudy, le petit frère de Patrick Modiano, mort quand ce dernier avait onze ans. L’écrivain a repris cet épisode vécu dans son nouveau roman paru le 2 octobre, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier. Cette fois-ci, il en fait la base d’une sorte de roman policier un peu oppressant, dont son frère est effacé.
  • Un Pedigree (2005). Ce livre restera sans doute dans l’histoire de la littérature. Après s’être longtemps abrité derrière la fiction puis l’autofiction, Modiano finit par écrire une autobiographie… très atypique. Au terme d’un dédoublement de personnalité, l’auteur adulte y raconte son enfance et son adolescence avec une terrible sécheresse, comme s’il s’agissait de celles d’un autre. Une sorte d’hétéro-autobiographie. Au passage, ce texte majeur constitue un trousseau de clés permettant de décrypter tous les autres livres de Modiano, en repérant la part biographique qui se niche dans chacun.
En prime, un sixième livre :
  • Catherine Certitude (1988). Un délicieux livre pour enfants, très joliment illustré par Sempé. Toute l’atmosphère et le style de Modiano en 96 pages faciles à lire. Une excellente façon d’entrer dans son œuvre « dès 9 ans ».
A la bibliothèque CBPT vous pourrez aussi  trouver :
Rue des boutiques obscures  1978   Prix Goncourt
Une Jeunesse  1981
Fleurs de ruine  1991
La Petite Bijou   2001
Accident nocturne  2003
Un Pedigree  2005
Dans le café de la jeunesse perdue  2007
L’Horizon 2010
L’Herbe des nuits 2012
Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier 2014  Lire le coup de coeur ci-dessous  …

Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier Gallimard

Un carnet d’adresse perdu, un coup de téléphone d’un inconnu, la photo d’un enfant, Guy Torstel, un nom énigmatique …et voilà chamboulée la tranquillité de Jean Daragane , un écrivain qui voulait se détourner de son passé,  pour se consacrer à la lecture de Buffon, dont la limpidité du style lui apportait beaucoup de réconfort .
Lui , qui aime les promenades solitaires dans Paris, pourquoi n’a-t-il pas écrit de « romans où les personnages auraient été des animaux, et même des arbres et des fleurs » ?
Un rendez-vous avec Chantal de Grippay, l’amie de Gilles Ottolini qui vient de faire intrusion dans sa vie, pour le questionner sur une affaire, des gens qu’il a pu connaître, le mystérieux Torstel notamment, un personnage de son roman Le Noir de l’été, dont il pensait avoir choisi le nom au hasard, et c’est tout un pan de son passé qui resurgit à la vue d’une « robe de satin noir aux deux hirondelles jaunes » .
Chantal, à l’insu de Gilles Ottolini, lui remet la photocopie du dossier qui pourrait le compromettre : la conversation est de plus en étrange, des sonorités redevenues familières, le Tremblay, le square du Graisivaudan, Saint Leu La Forêt, une photo d’enfant que lui tend Chantal :  quelle mystérieuse coïncidence , n’a-t-il pas connu autrefois une femme, souvent vêtue d’une robe de satin noir. Et cette photo ?
Presque rien, et le lecteur entre par effraction dans la vie de Jean Daragane et dans l’univers de Modiano : des rues, des cafés, des chambres … le décor renvoie à d’autres romans, à un Paris déjà vu, dans une vie antérieure pour Jean Daragane, avec certes des noms, des prénoms différents , mais pourquoi ces changements d’identité ? pourquoi cette photo ? …Et cet enfant, qui peut-il être ?
C’est le début d’une quête romanesque ( lancinante) : Jean Daragane  va se trouver, malgré lui, entraîné dans une recherche de ce que sa mémoire avait habilement enfoui,  d’indices de plus en plus nombreux pour découvrir qui était cette jeune femme en fuite, a-telle été contrainte d’abandonner l’ enfant dont il ne cesse de scruter la photo ? A la manière de Proust tout un univers reprend forme :  Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, ce petit bout de papier, ne serait-ce pas l’ultime pièce du puzzle qu’il essaie de reconstituer ?
On retrouve dans ce roman la petite musique de Modiano : mais ici de petites touches d’une écriture de plus en plus épurée, faite de sons mélancoliques, d’images évanescentes, de phrases elliptiques, de noms aux sonorités syncopées pour évoquer ces souvenirs rongés par l’oubli. Le ton se fait plus grave,  l’atmosphère trouble du thriller fait place à l’angoisse existentielle et l’écran blanc de la mémoire au rideau noir de l’oubli.

 Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, un des plus beaux romans de Patrick Modiano paru, bizarre coïncidence, alors que L’Académie suédoise lui décernait, le 9 octobre 2014, Le Prix Nobel de Littérature « pour son art de la mémoire avec lequel il a évoqué les destinées humaines les plus insaisissables et dévoilé le monde de l’Occupation ».S.D. novembre 2014