Collection Blanche, Gallimard Parution : 01-04-2016
«J’ai voulu l’oublier cette fille. L’oublier vraiment, c’est-à-dire ne plus avoir envie d’écrire sur elle. Ne plus penser que je dois écrire sur elle, son désir, sa folie, son idiotie et son orgueil, sa faim et son sang tari. Je n’y suis jamais parvenue.»
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. Nuit dont l’onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S’appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu’elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd’hui.
Dans Mémoire de fille, Annie Ernaux replonge dans l’été 1958, celui de sa première nuit avec un homme, à la colonie de S dans l’Orne. Nuit dont l’onde de choc s’est propagée violemment dans son corps et sur son existence durant deux années.
S’appuyant sur des images indélébiles de sa mémoire, des photos et des lettres écrites à ses amies, elle interroge cette fille qu’elle a été dans un va-et-vient implacable entre hier et aujourd’hui.
« Il n’y a aucune photo d’elle l’été 1958. Pas même une de son anniversaire, ses dix-huit ans, qu’elle a fêté là, à la colonie – la plus jeune de tous les moniteurs et monitrices – son anniversaire qui tombait pour elle un jour de congé, si bien qu’elle avait eu le temps d’acheter en ville l’après-midi des bouteilles de mousseux, des boudoirs et des Chamonix-orange, mais ils n’avaient été qu’une poignée à être passés dans sa chambre boire un verre et grignoter, s’éclipsant vite – peut-être déjà devenue infréquentable, ou seulement inintéressante parce qu’elle n’avait apporté à la colonie ni disques ni électrophone.
De tous ceux qui l’ont côtoyée cet été 1958 à la colonie de S dans l’Orne, est-ce qu’il y en a qui se souviennent d’elle, cette fille ? Sans doute personne. »
De tous ceux qui l’ont côtoyée cet été 1958 à la colonie de S dans l’Orne, est-ce qu’il y en a qui se souviennent d’elle, cette fille ? Sans doute personne. »
– Comme souvent, vous faites référence aux photos, aux chansons, à la mode. Est-ce une manière, comme dans vos livres précédents, d’ancrer le récit dans le temps ?
Les photos, comme celle de mon livret scolaire du bac, sont avant tout les archives d’un moi disparu, des preuves, de même que les lettres écrites à une amie de classe. Décrire et interroger une photo, c’est «donner corps» dans le texte à cette fille d’autrefois, et en saisir l’évolution continuelle.
Les chansons, ici, sont bien plus que des marqueurs de temps. Comme le film Les Amants de Louis Malle, elles ont participé de la transformation d’une expérience sexuelle violente en amour fou. Et, depuis, elles continuent de détenir le pouvoir de ressusciter cet été là. Elles sont le pur présent du passé. …
– L’écriture est-elle pour vous le passage obligé pour comprendre le monde et vous comprendre ?
Je dirais que c’est mon incapacité à traduire en pensées la sensation de ce qui m’arrive au moment où cela m’arrive – ou arrive dans le monde – qui m’oblige à écrire. Mémoire de fille est à ce titre une expérience extrême d’écriture, où il me fallait mettre des mots sur des choses qui n’en avaient jamais eu, ou qui n’étaient pas les bons…
– Vivez-vous l’écriture comme une forme de résilience ?
Je vis confusément l’écriture comme un mandat dont je serais chargée, celui de rendre compte de ce qui m’a traversée, de dissoudre le personnel, l’intime, dans l’anonymat collectif de lecteurs. Je ne sais pas s’il s’agit d’une forme tordue de résilience…
Extraits : Entretien réalisé avec Annie Ernaux à l’occasion de la parution de Mémoire de fille. © Gallimard